jeudi 22 octobre 2009


Shrinagar, Cashmire, India, 30 septembre 2009.

Bonjour vous tous!

Je ne sais pas trop par quel événement je dois commencer ce premier message de l’Inde. Nous sommes, Louise et moi, en Inde depuis plus d’une semaine et déjà nous sommes arrivés dans cet oasis de paix qu’est le « Kingori House Boat » de nos amis, la famille Pala. Nous en sommes à notre premier arrêt où il me sera possible de prendre un peu de recul sur cette première semaine qui se voulait être une étape importante dans le processus du deuil de mon ami Chaina Ram, compagnon de route durant plusieurs années, presque 20 ans, il faut que je le souligne, dans ce pays qui m’a toujours fasciné.
J’avais décidé de mettre les voyages de côté pour quelque temps, de manière à consacrer plus de ce temps à ma mère de qui je me rapproche un peu plus maintenant que je suis devenu un retraité du Grand Nord. J’avais expliqué ce contexte à Chaina Ram en décembre dernier avant de le laisser retourner dans son village suite à une vacance qui nous avait menés dans le sud indien, région de son pays qu’il aimait bien revoir. Notre dernière rencontre à Udaipur, ville située à 8 heures de son patelin râjasthâni, avait été fort agréable et comme il était de mise nous avions fait le tour des magasins afin que mon ami ramène des pièces de tissus toutes aussi colorées les unes que les autres, pour habiller sa femme, ses filles et les femmes de ses deux fils. Partie du voyage que j’aimais puisque je le voyais dans un de ses éléments favoris, le « bargaining ».

Ce que je ne savais pas alors c’est que nos adieux, toujours très émotifs, étaient les derniers. Chaina Ram, comme plusieurs de vous le savez, mourrait accidentellement 5 semaines après cette dernière rencontre à Udaipur. Sa famille venue de tous les points du Rajasthan et du Gujarat se réunissait pour les funérailles du Suni Lal, son frère et confident, qui venait de mourir suite à une courte maladie. C’est en se rendant dans le village voisin pour y faire les achats de victuailles que mon ami s’est fait frappé mortellement pas un chauffeur de taxi ivre. Emporté par une commotion cérébrale importante, il est mort sur le coup. Vous imaginez sans doute le choc de cette famille à l’annonce du décès de Chaina Ram, ceci trois jours après son frère Suni Lal.

Donc ce présent voyage était motivé par mon devoir de me rendre voir la famille de mon ami, famille que je connaissais depuis de nombreuses années. Famille que j’ai vu évoluer et grandir dans bien des étapes de leur vie: naissances, mariages, et maintenant décès.

Nous n’avons pas mis plus de 24 heures pour quitter Delhi et prendre un train vers Pushkar, village très connu pour sa foire annuelle à chameaux. Événement très connu du tourisme international. C’est là qu’il y a 20 ans j’avais rencontré mon ami Chaina Ram. Nous allions aujourd’hui élire Pushkar comme base pour nous rendre à Agawa, village de quelques centaines d’habitants où résidait Chaina Ram. J’étais déjà entré en contact avec Shanti Lal, fils aîné de mon ami, qui venait nous y rencontrer. Ce même Shanti Lal qui avait 7 ans au moment où j’étais allé pour une toute première fois à la rencontre de son père dans un coin tellement peu touristique du Rajasthan que les passagers indiens du bus me retenaient d’en sortir croyant que je me trompais en voulant descendre à Bilara.

Shanti Lal maintenant devenu un homme, marié depuis quelques années, déjà père de 2 enfants était à la porte du Shiam Krishna Guest House de Pushkar à notre arrivée. Ce guest house a toujours été mon choix parmi des dizaines d’autres « guest houses » prisés par le tourisme « sac-à-dos », donc pas cher et assez confortable pour rendre très agréable la visite de ce coin unique du Rajasthan. La rencontre de Shanti Lal était plus ou moins attendue, il savait que j’arrivais à Pushkar ce jour là, et savais que je devais me rendre à sa rencontre dans son village seulement le lendemain. Mais comme son père le faisait, il est venu nous accueillir dès notre arrivée à Pushkar. Bien malgré l’évident problème de langage, Shanti Lal n’a pas eu une éducation plus élevée qu’au niveau d’une 6ième année, nous avons vite su trouver les mots pour établir une communication très adéquate. Il a tout de suite été décidé que nous nous rendrions voir sa mère et le reste de la famille dès le lendemain matin.

Tôt levés, nous prenons la route, trois heures de bus nous séparent de Pushkar et Agawa. Des routes où les prières sont obligatoires pour conjurer les risques constants pris par les conducteurs qui doublent les voitures et véhicules lourds sur une route au trafic insensé à peine conçue pour 2 voitures. Nous y avons survécus. Les derniers kilomètres précédant le village lui-même me ramenaient à des souvenirs impérissables. Je revoyais Chaina Ram me désignant les terres qui lui appartenaient, j’avais en mémoire sa fébrilité à la venue des premières maisons du village et des parents et amis qu’il allait me présenter. Puis nous sommes arrivés dans les rues étroites et sablonneuses qui menaient à la maison de la famille de mon ami, je revoyais les différentes étapes du mariage de Prakash auquel j’avais assisté il y a 3 ans de cela. Chaina Ram, dans ses vêtements typiquement râjasthânis, qui dansait joyeusement en début du cortège où Prakash, habillé comme un petit prince et assis sur un cheval faisait une tournée dans le village. Arrivé devant la maison de mon ami je me plaisais à m’imaginer cette danse que la femme de Chaina Ram avait performée devant les gens du village tous réunis sous l’éclairage des lampes à pétrole. Une danse aux mouvements langoureux et lents, manifestation de la douleur d’une mère qui voit son enfant bientôt sortir de sa tutelle pour faire sa propre vie, peut-être ailleurs.

La maison de Chaina Ram est encerclée de murs et laisse seulement une porte d’entrée et deux fenêtres à l’avant. Passé la porte de la façade avant de la maison nous traversons un abri qui donne sur une espace intérieure, endroit où il est possible de faire la cuisine traditionnellement, utilisant le bois comme combustible et cuisinant à ciel ouvert. Une autre pièce, celle-là fermée, sert aussi à la cuisine et ce sont sur des fours à gaz que les aliments se préparent. Ensuite un espace un peu plus élevé, espace large, comportant sur la gauche quatre grands encadrements des photos souvenir que Chaina Ram a collectionnées à travers les années de nos voyages. On s’y voit, Chaina Ram et moi, dans des postures parfois figées, mode indienne, dans tous les coins de l’Inde qu’il nous a été donné de visiter ensemble, photos qui datent de nos premières rencontres où encore nous étions jeunes, jusqu’à ces dernières années où la complicité s’était grandement établie entre nous deux.

La famille de mon ami attendait notre venue, la femme de Chaina Ram était assise dans la cour intérieure, revêtue d’une ample jupe dorée, d’un corsage vert pomme et d’un voile d’un rose pastel qui lui recouvrait entièrement le visage. À notre arrivée elle s’est mise à pleurer, sorte de lamentation profonde, déchirante et sentie. Revivait-elle les récits des rencontres que Chaina Ram lui décrivait quand il revenait d’un voyage en ma compagnie? Elle savait quelle importance j’avais aux yeux de mon ami, elle savait aussi la souffrance que je ressentais moi-même en entrant dans ce lieu, ne trouvant plus la présence de cet ami.

Choc. Au-dessus de la porte qui mène à la chambre principale il y a une photo de Chaina Ram. Ce genre de photo que j’ai si souvent vue bien en vue dans les commerces et petites boutiques de l’Inde. Photo qui a pour fonction de rappeler le décès d’une personne, de manifester par là leur importance. Chaina Ram est maintenant là, figé dans ce cadre bien en évidence au-dessus de la porte de sa chambre. Dans cette photo, rien de naturel puisque la photo est entièrement retouchée, on lui a ajouté une veste noire, un turban râjasthânis coloré, même le visage semble être fait de cire.














Photo mortuaire de Chaina Ram

Ce qui me trouble c’est la fonction que cette photo prend maintenant pour sa famille. Pour moi c’est un mauvais rappel de sa mort. Je comprends bien à ma réaction qu’il me reste encore un bout de chemin à faire avant l’acceptation finale de son départ.

Shanti Lal m’a tout de suite fait entrer dans la chambre de ses parents où je me suis assis sur le charpoy . La chambre était telle que je l’avais vue il y a 3 ans au mariage de Prakash, sur de larges étagères on y trouvait les immenses boîtes de métal renfermant les vêtements des jours de fête et de tout ce qui doit être préservé de la chaleur, de l’humidité et de la poussière du désert. Les images des dieux qu’ils vénèrent étaient encore sur les murs de la pièce, dieux témoins de la vie de tous les jours de cette famille.

C’est avec grande émotion que je revoyais ce lieu où Chaina Ram avait vécu. J’avais le cœur serré, incapable de m’exprimer tant l’émotion me tenait à la gorge. La femme et les enfants de Chaina Ram étant témoins des larmes silencieuses que je ne pouvais retenir, maintenant plus conscient de l’absence de mon ami dans ces lieux. Très respectueux de ma peine ils attendaient que je puisse évacuer un peu de cette douleur. Ensuite nous avons pu passer au plaisir de les revoir tous. Prakash était lui aussi, comme Shanti Lal, venu de Bangalore où il travaille maintenant, pour cette visite que je leur rendais. Bima, l’aînée des filles de la famille vit maintenant avec sa mère en compagnie de ses 2 jeunes garçons. Sobah la plus jeune, à peine âgée de 13 ans, n’était pas allée à l’école ce jour-là. De beaux sourires et un peu de gêne d’abord, les jeunes garçons dans la chambre avec moi, la femme de Chaina Ram assise par terre à l’extérieur dans l’entrée de cette chambre. Les femmes ne doivent pas se trouver dans la même pièce que les hommes, tradition oblige. Elle assistait à nos conversations et tranquillement laissait tomber le voile qui lui avait recouvert le visage à mon arrivée. Geste qui manifestait mon rang à l’intérieur de cette famille. Chaina Ram se disait mon frère, ce qui en Inde veut dire plus qu’un ami, et la famille me voit comme tel depuis plusieurs années maintenant.

J’avais apporté des photos prises du dernier voyage en compagnie de mon ami. Plusieurs photos qui venaient leur dire à quel point Chaina Ram était heureux durant ces voyages. Shanti Lal les avait déjà vues le premier soir de son arrivée à Pushkar et les avait regardées une à une avec grand soin, tentant, me semblait-il, de voir derrière l’image ce que son père avait pu ressentir au moment du déclic de la caméra. Maintenant c’était au tour de la famille de se passer ces photos, Prakash d’abord et enfin les jeunes filles qui sont presque venues les lui arracher des mains.

Elles se sont ensuite retrouvées toutes à la cuisine où elles se mises à cuisiner des recettes qui n’ont rien à voir avec leur mets habituels. Chaina Ram leur avait déjà fait des leçons de cuisine pour touriste dans le passé.
















Femme de Chaina Ram coupant les pommes de terre.


Louise et moi nous nous sommes vite retrouvés avec des plats abondants de riz pulao et de pommes de terre revenues dans le beurre. Pour dessert, un yaourt nature et riche et un lait au beurre salé pour terminer le tout.

J’avais raconté à Shanti Lal, alors que nous étions toujours à Pushkar, que je voulais offrir quelque chose à la famille. Et lui avais alors dit de quelle nature était mon aide. Après ce dîner à la « mode touristique » », je lui ai demandé de faire entrer sa mère dans la pièce, ses deux jeunes sœurs elles aussi sont entrées, toute la famille était présente. C’est avec une voix mal assuré et remplie de sanglots que je leur ai expliqué que Chaina Ram avait manifesté un souhait quand je l’avais vu en décembre dernier. Qu’il aurait aimé que je l’aide, comme par le passé, pour terminer la maison qui il y a plus de 15 ans s’était effondrée sous les fortes pluies de mousson. Quand Shanti Lal eu terminé de leur dire ce que je lui avais demandé de traduire, je remettais la somme de roupies qui servira sans doute à couvrir tous les frais pour que la maison de mon ami se voit enfin terminée. Où que soit Chaina Ram maintenant, je sais qu’il sourirait de mon initiative. Pour le reste des roupies je sais qu’ils sauront, comme Chaina Ram a toujours su le faire, utiliser cette aide à des fins très raisonnables.















Avant : Sobha (cadette), femme de Chaina Ram, Bima (2ième enfant) et son fils.
Arrière : Shanti Lal (aîné) et son fils, moi et Prakash (3ième de la famille).

Le temps passait vite et le retour à parcourir voulait que nous ne nous attardions pas plus à Agawa. Seules restaient à faire des photos de la famille avant de reprendre le taxi qui nous avait attendus pour faire la distance d’Agawa à Jaitaran, qui ne connait aucun transport en commun. Tout le monde s’est facilement prêté facilement à l’exercice, tout comme Chaina Ram ils aiment se voir en photos et à chacune de celles-ci ils voulaient en voir le résultat sur les écrans de nos caméras. La femme de Chaina Ram qui, la toute première fois que je m’étais rendu au village, avait pratiquement due être contrainte à enlever son voile pour la photo, n’avait maintenant plus cette pudeur avec ma caméra. Je renouvelais ainsi l’image de la famille à laquelle il manque celui qui aura été durant plusieurs années un fidèle ami très attachant.

Un arrêt devait encore être fait avant le retour à Pushkar. Chaina Ram n’a maintenant plu qu’un frère vivant. Il est sâdhu, ce qui veut dire religieux. Rien à voir avec nos prêtres du Québec croyez-moi. Nous arrêtons à son temple situé à 3 kilomètres du village. Il nous attendait. Nous invite à s’asseoir par terre avec lui. Revêtu d’un vêtement orangé qui le recouvre à moitié, il nous fait préparer le thé. Il ne parle pas un mot d’anglais mais il se montre familier avec nous. Quelques photos sont prises encore là.















Assis : l’oncle Sâdhu, frère de Chaina Ram.
Devant moi les deux garçons de Chaina Ram, Prakash et Shanti Lal.

Puis au moment du départ arrive un jeune père de famille avec sa fille qui doit être âgée de 2 ou 3 ans. Il veut parler avec le sâdhu, sa fille est malade, il est allé à 2 ou 3 reprises dans des hôpitaux pour qu’elle soit traitée. N’a plus les moyens d’y retourner disant que ça ne sert à rien puisque le mal revient. Il a déjà perdu une autre fille de la même manière dans le passé. Le frère de Chaina Ram me demande alors de revenir voir cet enfant. Un examen rapide confirme la gravité de sa maladie. Abdomen gonflé, induré, à la moindre palpation l’enfant gémit faiblement, lèvres décolorées, jugulaires droite bien gonflée, un regard qui dit une fatigue extrême. Sans plus d’examen diagnostic il ne reste qu’à redire la gravité de la maladie de sa fille et l’urgence de se rendre à l’hôpital le plus proche et ce le plus rapidement possible. Il lève alors les mains au ciel disant que maintenant il s’en remet à la bonne grâce des dieux. Il n’a certainement pas les moyens de poursuite ces traitements nécessaires pour sa fille. Il en est maintenant à accepter l’inévitable. Au moment où j’écris ces lignes cet enfant est déjà certainement entre les mains des dieux vénérés par son père.

Les mêmes dangers nous attendaient sur la route du retour avec une composante supplémentaire, la noirceur. Le panthéon indien était sans doute encore avec nous puisque nous sommes arrivés à Pushkar en milieu de soirée, et sans accident.

Je le disais plus tôt, Pushkar a été l’endroit de ma rencontre initiale avec mon ami Chaina Ram, ceci il y a une vingtaine d’années. Y revenir, qui plus est en compagnie de son fils, me réconciliait avec le départ de son père. Il me restait encore à apprendre certains détails qui ne m’avaient pas encore été révélés. J’avais maintenant Shanti Lal pour répondre à toutes mes interrogations.

La cause de sa mort, je la savais. Les détails, pas vraiment. J’ai appris qu’il était décédé tout près de la gare de bus de Jaitaran, frappé violemment si bien qu’il avait une jambe affreusement mutilée, et avait heurté de plein front le Jeep taxi avec lequel il était entré en collision. Une large contusion frontale faisait la preuve de la violence de l’impact. Mort dans les quelques secondes qui ont suivies l’accident. Toute la famille alors réunie à Agawa s’était pressée sur les lieux. Le corps avait dû être laissé à l’hôpital de Jaitaran pour la nuit. Ce n’est que le lendemain, vers 7:00 heure que la famille a pu récupérer le corps pour le ramener à Agawa où la crémation allait avoir lieu à 10:00 heure. Le vendredi suivant ce ne sont que trois membres de la famille immédiate, dont Shanti Lal et Prakash, qui se sont rendus à Pushkar, hé oui Pushkar!, pour aller déposer les cendres de Chaina Ram et de son frère dans le lac sacré jouxtant le temple dédié à Brahma. Endroit que Chaina Ram connaissait très bien puisqu’il s’y rendait quotidiennement à l’orée du jour quand nous étions tous les deux de passage dans cette ville sacrée de l’Inde.

Shanti Lal m’a montré l’endroit précis où a eu lieu le puja, cérémonie durant laquelle les cendres des deux frères ont été versées dans le lac. Ensuite je me suis trouvé à passer 2 ou 3 fois par jour devant ce lieu sans omettre de saluer, mains jointes à la hauteur du visage, cet ami bien significatif pour moi. Ainsi nous nous serons connus à Pushkar et son existence terrestre se sera terminée dans ce même endroit.

Le lendemain de notre retour du village de mon ami je sentais qu’il me fallait faire quelque chose de significatif pour cette amitié de longue date entre Chaina Ram et moi, quelque chose qui demande un certain dépassement. Ainsi donc, Chaina Ram a toujours été très religieux et souvent je l’ai accompagné dans des temples lors de nos voyages. Nous avions, lors de notre toute première rencontre à Pushkar, monté le mont surplombant le lac sacré de Pushkar, il y a là un temple dédié à la femme de Brahma. Il faut gravir plusieurs marches et ensuite se taper un dernier moment de montée plutôt abrupte avant d’atteindre le somment et ce temple. Ce matin-là, Shanti Lal et moi nous sommes allés en premier au temple de Brahma où Chaina Ram a si souvent initié ses journées à Pushkar. Ensuite, alors qu’il faisait encore nuit, nous sommes montés vers le temple, il a fallu une quarantaine de minutes pour ce faire. Arrivés au sommet après le lever du soleil, nous avons pu nous recueillir à l’intérieur de ce petit temple, tout comme Chaina Ram l’avait fait jadis avec moi il y a 20 ans. La cérémonie d’ouverture du temple s’était terminée avant notre arrivée au sommet.

Shanti Lal m’a accompagné dans tous mes déplacements durant ces quatre jours passés à Pushkar. Je me suis réellement plu en sa présence. Ne cessant de remarquer toutes ces ressemblances qu’il peut y avoir entre lui et son père. Sa manière d’aborder les gens, sa jovialité et sa simplicité dans les rapports humains, son petit rictus de la bouche quand il vient de dire quelque chose qui n’est pas sérieux, et encore bien d’autres caractéristiques héritées de son père. À quelques reprises je rencontrais des connaissances de longue date dans ce village où souvent je me suis rendu en compagnie de Chaina Ram dans le passé. Certains me demandaient où était Chaina Ram sachant qu’il était toujours pas très loin de moi quand je me trouvais dans ce village. Après une certaine gêne ressentie par Shanti Lal qui maintenant m’accompagnait, c’est lui qui racontait les circonstances du décès de son père. Chaque fois c’était la consternation pour ces gens que Chaina Ram avait souvent côtoyés. Des marques de sympathies étaient exprimées autant à l’intention de Shanti Lal que pour moi quand ils se rendaient compte que l’histoire d’amitié du touriste avec Chaina Ram venait de se terminée tragiquement. Dans le passé il est souvent arrivé que mon retour au village ait été souligné en quelques minutes à Chaina Ram qui se trouvait complètement à l’autre bout du village attendant que j’y mette les pieds. Le bouche à oreille fonctionne merveilleusement bien dans les petits villages. Notre amitié avait fait sa marque pour plusieurs dans ce petit village.

Je me suis retrouvé à répéter avec Shanti Lal des activités et habitudes que Chaina Ram et moi avions dans ce village. Shanti Lal faisait l’achat de babioles pour donner à ses enfants, tout comme son père le faisait avant lui; avait les mêmes goûts et dégoûts pour certaines nourritures occidentales, se levait aussi tôt le matin que le faisait son père. Ce qui nous a permis de nous rendre à tous les matins au temple de Brahma pour y faire notre puja matinal. Le dernier matin nous sommes retournés, cette fois-ci en présence de Louise au temple dominant le lac, partis assez tôt pour participer à la cérémonie d’ouverture du temple dans la cacophonie des tambours et des conques de circonstance. Un groupe de pèlerins de Kolkota était venu offrir ses dévotions à la déesse des lieux dans une animation, des chants et des mantras fort joyeux. La cérémonie n’en était que plus touchante et vibrante.



Pèlerins de Kolkota (Calcuta) devant le temple.

Ce même jour nous préparions, Louise et moi, notre retour sur Delhi. Un dernier arrêt pour moi à l’endroit où les cendres de Chaina Ram ont été déposées. Je voulais bien conclure cette première étape du voyage que je craignais pour les émotions qu’elle allait suscitées en moi. Il me restera encore du travail à faire dans les prochaines semaines puisque je viens de faire renaître un peu de la peine devant la perte de mon ami, je crois que ce travail était bien nécessaire dans la poursuite du deuil à faire.

De retour au Shiam Krishna Guest House il nous fallait terminer les bagages déjà commencés en matinée. Shanti Lal, qui aime bien ce gadget qu’est mon I-Pod et qui s’y est familiarisé assez rapidement dans les derniers jours, a vite retrouvé la section musique Hindi dans le répertoire. Il fait jouer son morceau favori alors que nous attendons l’heure déterminée pour notre départ. Ensuite, puisque la musique est en mode aléatoire une musique que je connais depuis longtemps débute. Quelques notes de cathare et un rythme de tabla lent qui annonce le début d’un chœur à « bouches fermées ». Un concert donné il y a plusieurs années par Ravi Shankar dans l’enceinte du Kremlin à Moscou. Il terminait ce concert avec le « Shanti mantra ». Derrière le chœur une voix récite le mantra :
« Paix sur la terre
Paix dans la nature
Paix dans l’humanité
Paix dans le cœur
Paix, Paix, Paix… »

…aux derniers accords de cithare qui se perdent dans les applaudissements du public je ferme la musique. Mets le I-Pod et sa base dans le sac d’un jour. Ajuste les courroies de mon sac-à-dos qui a connu l’Inde à plusieurs reprises. Et comme le vieux routard que je suis, je prends la route d’un pas assuré vers la gare de bus, accompagné de Louise et Shanti Lal.

Shanti Lal nous fait ses adieux sur le quai du terminus de bus d’Ajmer. Louise et moi nous rendons à l’intérieur d’un rickshaw pétaradant à la gare pour un voyage de 6 heures qui nous ramènera à Delhi. Première tape du voyage terminée. Et je me donne une bonne note sur la réussite de ces premiers jours en Inde.

3 commentaires:

  1. Une heureuse surprise que ce blogue. Car tu écris bien ami Pierre.

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  2. Tiens! Tu as choisi le même modèle que mon Blog, en l'améliorant. Moi je n'ai pas eu le temps. Les photos me parlent bien. J'ai l'impression de mieux connaître tous ces gens. Bon retour à Montréal.

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  3. Et tu devrais écrire plus souvent tes réflexions et tes découvertes de grand voyageur.
    Bonne journée.

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